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En Turquie le monastère Mor Gabriel (Deyrulumur) n’est pas un occupant .

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« La Turquie est le pays des Syriaques et le monastère de Mor Gabriel n’est pas un occupant » C’est avec cet appel  que plusieurs centaines personnalités de Turquie lançaient le mois dernier  une nouvelle campagne pour soutenir Mor Gabriel, le plus ancien monastère de Turquie toujours « vivant » (3 moines, 11 religieuses et une vingtaine de novices y vivent)  et la « seconde  Jérusalem »  des Chrétiens syriaques. Le site  «  Nous avons grandi ensemble » (Beraber Büyüdük Bu Ülkede) dont le titre rappelle  une chanson populaire (Beraber Yürüldük bu Yollar) chantée en public par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan  est destiné à recueillir les signatures de la pétition qu’ils ont initiée  (près de 15000 signatures à ce jour) . Il est uniquement en turc, mais je conseille  même à  ceux qui ne comprennent pas cette langue de le visiter.  On y trouve  de superbes images du monastère.

Un lieu et une présence  qui témoignent de plus de 1600 d’histoire et auquel la Turquie devrait tenir comme à un de ses trésors. Le ministère du tourisme l’a bien compris qui  dorénavant signale le monastère  par d’immenses panneaux sur les routes de la région de Midyat (province de Mardin) où il est situé. De là à considérer les moines syriaques comme des citoyens comme les autres et à ce que les biens d’une fondation chrétienne syriaque jouisse des mêmes garanties que ceux des fondations musulmanes sunnites ,  il y a une marge.

En effet, malgré ces nouveaux panneaux de signalisation, l’antique monastère est bien loin d’être l’objet de la sollicitude de l’Etat turc. Le 13 juin dernier la 20ème chambre de la  cour suprême d’Ankara a tranché en appel dans le conflit qui oppose depuis 2008 le Trésor turc et les moines du monastère syriaque Mor Gabriel (Deyrulumur), rapporte Today's Zaman. Prenant le contre-pied du jugement rendu par un tribunal de Mardin,  elle a donné raison à l’Etat turc, aux fonctionnaires du cadastre qui avaient décrété que les terres du monastère ne lui appartenaient pas  et à la convoitise de 3  villages kurdes voisins. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a malencontreusement « égaré » des documents  prouvant de façon irréfutable que les moines sont bien  propriétaires de leur terre.

Ce que tout le monde sait d’ailleurs. C’est en 397 après JC que le monastère Mor Gabriel a été fondé. Et personne n’ignore dans la région de Midyat que les 28 hectares de terres que le Trésor veut saisir sont les siennes depuis au moins aussi longtemps que les mémoires familiales s’en souviennent.

Les  moines ont  apporté  les preuves que le monastère avait été  enregistré à la direction générale des fondations en 1937 et que depuis cette date il a très scrupuleusement réglé les impôts qu’il devait en tant que propriétaire, ce qui ne doit pas être le cas de beaucoup de familles de grands propriétaires terriens de la région. Il est vrai que ces derniers n’ont pas toujours  eu besoin d'être aussi irréprochables pour pouvoir y survivre. Mais qu’importe puisque ces documents ont été « égarés ».

Les juges de la 20ème chambre ont donc décrété que spolier les biens de citoyens chrétiens était toujours  tout à fait normal.

C’est en 2008, lors de la mise à jour du cadastre exigé par l’UE,  que le convoitise des villages de Yayvantepe, Çandarlı et Eğlence, qui vivaient jusque là en bon voisinage avec le monastère s’est déclarée. Il faut dire que dans cette région, c’est une habitude qui a perduré jusqu’à ces dernières décennies de mettre la main sur les biens d’autrui. Alors que les Syriaques ne forment plus qu’une petite communauté d’environ 20 000 personnes en Turquie  ( 2.5 millions  dans le monde), dans la région de Tur Abdin (Midyat), le cœur de leur communauté, ils ne sont plus qu’environ 3500 contre  130 000 au début des années 60.

Parmi ceux qui ont fui dans un autre pays, beaucoup  ont été déchus de leur nationalité et leurs biens ont été confisqués par l’Etat.  Dans les années 90  à celles des Chrétiens qui fuyaient le conflit entre l’Etat et la rébellion kurde du PKK, ce sont ajoutées les terres de villageois kurdes, cette fois chassés de force de leur village par l’armée, qui ont souvent récompensé des korucus (gardiens de village) armés et rétribués par l’état. Les tribunaux  doivent y crouler sous les procès pour des histoires de terre. Dernièrement  Baskin Oran dénombrait 300 procès rien que contre la poignée de Syriaques qui y vivent encore. C’est dire comme leurs biens sont convoités.

Le fait que  Süleyman Celebi , agha (chef clanique) de deux des 3 villages qui ont décidé de mettre la main sur les terres du monastère était alors député AKP (ce qui n’est plus le cas depuis les élections de 2011), n’est probablement pas étranger à la diligence mise par les fonctionnaires du cadastre. Quant on est député et qu’on apporte les voix de son asiret (clan) et de ses villages korucus  à l’Etat et au parti dominant, c’est quand même pour en tirer quelques avantages. Et les villageois n’ont  certainement pas eu cette idée tous seuls , même si depuis leurs relations avec le monastère se sont dégradées. Les rumeurs les plus folles s’étant mises  à courir contre les moines,  accusés par exemple de tenter de convertir les enfants des villages  (comme si c’était l’habitude des Chrétiens d’Orient de convertir leurs voisins musulmans ! )

Jamais des fonctionnaires du cadastre n’auraient eu l’idée de mettre la main sur les biens d’une fondation musulmane. Et ces fonctionnaires  ont un ministre qui les a laissés agir. Rien n’obligeait non plus le Trésor à faire appel du premier  jugement favorable  au monastère ( par un  tribunal local qui n’avait pas « égaré » les documents). A Ankara on ne peut pas ignorer ce qui se passait dans cette province éloignée de l’Est du pays. Dès les débuts de l’affaire l’indignation a dépassé les frontières.

Mais la cour suprême  a finalement décidé de cautionner ce vol, ce tandis qu’au même moment  « le gouvernement s’active à  restituer leurs biens spoliés aux communautés grecque orthodoxe et bulgare » (restitution qui représente une belle somme !)  souligne Cengiz Aktar, un des intellectuels turcs à l’origine de la nouvelle pétition.  Des biens spoliés à ces communautés  dans les années 60, à Istanbul principalement et à une époque où les villageois sunnites du Tur Abdin étaient fortement incités par les autorités à harceler leurs voisins syriaques.  Autant dire que la politique de l’AKP envers les minorités chrétiennes du pays manque  de cohérence et que le sort des Chrétiens du pays reste dépendant de tolérances plus ou moins larges selon les circonstances.

Il a eu un an le 3 juillet dernier, avait lieu à Adiyaman la première  réouverture d’une église syriaque depuis la naissance de la République, l’église Mor Petrus Mor Gabriel. Cette fois l’opiniâtre Métropolite avait eu le soutien de Egemen Bagis (le négociateur du gouvernement AKP près de l’UE), et n’avait pas été en proie à la cupidité  de quelques villages du clan d’un obscur député.

L’année dernière aussi tous les médias applaudissaient l’élection d’Erol Dora, premier élu chrétien syriaque de toute l’histoire de la République et premier député chrétien tout court depuis un demi siècle…en outre  avocat du monastère. Il a été élu  à Mardin, candidat indépendant soutenu par le BDP, le parti pro kurde,  l’AKP pas plus que le CHP ne s’étant empressés d’ouvrir leurs listes  à un candidat chrétien, en retard sur ce plan là sur l’opinion publique.

Mais dans cette province, l’ardeur mise par les autorités  à  spolier le Monastère Mor Gabriel ne peut qu’être interprétée comme un message contre les Syriaques  et  conforter ceux qui pensent que voler les biens des Chrétiens est normal.

«  Ces dernières années des signes encourageants avaient été adressés aux Syriaques et certains commençaient à rentrer dans la région de Tur Abdin. Mais le verdict de la Cour montre que ce pays ne veut pas des Syriaques » conclut Tuma Celik, propriétaire du premier journal syriaque de Turquie  Sabro (Espoir en araméen) , fondé il y a quelques mois.

En Turquie beaucoup ignorent l’existence du monastère Mor Gabriel et à fortiori le harcèlement judiciaire dont il est  victime. Parmi ceux à qui j’en ai parlé ces dernières semaines, ils étaient rares en tout cas, même dans l’Est du pays, à en avoir entendu parler. Mais il n’en est certainement pas de même pour la communauté chrétienne syriaque de Syrie. C’est à Damas que le Patriarche syriaque  de Midyat a été exilé en 1930 et c’est toujours là que vit l’actuel Patriarche. Une communauté syriaque qui, dans la tourmente que traverse le pays, ne doit pas être rassurée par les relations  étroites entre la rébellion syrienne et une Turquie qui se montre si peu empressée d’en finir définitivement  avec de tristes habitudes.

Et il est peu probable que le fait  qu'en dernier recours la cour européenne des droits de l'homme  finira sans doute encore  par donner raison aux moines suffise à les rassurer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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